2050... Voilà près de 15 ans maintenant que nos sociétés apprennent à faire mieux avec moins. Depuis la mise en place des SGSE - Stratégies Globales de Sobriété Énergétique - au milieu des années 2020 et le vote en France du Plan de Protection de la Biodiversité en 2026, les modalités de mise en tourisme de nos territoires ont fortement évolué. Dans le panorama des offres touristiques en région Auvergne-Rhône-Alpes, l’expérience patrimoniale et culturelle occupe désormais une place centrale. Qu’il soit matériel, immatériel ou naturel, le patrimoine dont notre société a hérité est, en 2050, source de fierté et de rayonnement pour nos territoires. Liam, Lisy, Isaac, Lucie, Berny, Laura et Laurène nous en parlent.
Qu’en est-il du tourisme patrimonial et culturel en 2050 ?
Les politiques liées à son développement ont dû être pleinement repensées depuis 2020... Je ne vous rappellerai pas le contexte de l’époque, tout le monde, même les plus jeunes parmi nous, sait parfaitement à quels bouleversements notre société a été confrontée... Le patrimoine en est insensiblement venu à être considéré comme une façon opportune de créer du lien et surtout une identité forte entre les habitants d’un même terroir, d’une même communauté urbaine, d’un même territoire naturel. Mon travail m’amène à collaborer avec de nombreux scientifiques qui, par les enquêtes, les questionnaires, les entretiens qu’ils ont l’occasion de mener auprès de la population, nous permettent d’infuser aux élus les tendances de terrain en train d’émerger.
J’en suis intimement persuadé : le tourisme patrimonial et culturel en 2050 ne peut être que le fruit d’une construction collective dynamique, consciente du fait que notre patrimoine culturel est en constante évolution. Et il n’est pas seulement question ici d’un héritage matériel clairement tangible... Les traditions, la singularité immatérielle d’un lieu ou d’une communauté constituent le ciment de l’identité et de l’attachement de nos citoyens à l’endroit où ils sont nés ou ont choisi de s’établir. Sans compter l’exigence environnementale qui nous induit – j’en reviens au but essentiel du tourisme patrimonial – à préserver et valoriser nos espaces naturels. Bref, cette forme de tourisme, fondamentalement liée aux héritages du passé, est en constante évolution et nous, institutionnels et élus, devons en tenir compte.
Je suis d’accord avec Liam. Nous avons eu l’opportunité de travailler ensemble l’année dernière sur une enquête que j’ai dirigée à propos du street art. À ce moment, je collectais des données de terrain pour réaliser l’objectif de la Ville de Lyon concernant ses collections muséales : donner un accès pour le public à une expérience augmentée de celles-ci. J’avais déjà développé en laboratoire un outil de médiation culturelle apte à satisfaire les promoteurs de ce projet et les visiteurs éventuels. Pour faire court, cet outil est un programme de réalité virtuelle qui nous plonge de façon immersive dans l’histoire, les techniques de fabrication, mais également les modalités artistiques d’une peinture, d’une sculpture, voire de tout autre œuvre plus « hybride » - comme les réalisations de street art par exemple...
Je viens d’ailleurs de terminer d’adapter mon programme aux balades urbaines. C’est un outil formidablement explicite : les touristes auront la possibilité de vivre de l’intérieur l’évolution professionnelle des artistes, les caractéristiques propres à leur expression et de ressentir plus intimement, plus intuitivement, leurs revendications. La technologie numérique que mon laboratoire a fabriquée devrait être aussi prochainement utilisée pour des lectures de paysages et la contemplation de notre patrimoine naturel en région Auvergne-Rhône-Alpes.
Je souhaiterais revenir sur les cultures encore communément dites alternatives en vous parlant de ma propre expérience si vous le voulez bien... J’ai commencé le skate à l’adolescence, je trouvais alors ça cool et classe. On était toute une petite bande à se retrouver place Louis Pradel, à Lyon. Nous faisions un peu figure d’amuseurs à cette époque, voire, pour certains riverains, de frondeurs guère respectueux des biens publics. Et puis, au fil des années, j’ai vu l’état d’esprit de nos concitoyens changer à notre propos. Cette évolution a suivi de près le succès qu’a peu à peu connu ce lieu, jusqu’à devenir le « spot Hôtel de Ville ». Quand dans mon sillage, ma fille est devenue elle aussi avec sa planche une habituée de la place, HDV était vu comme une étape incontournable des skateurs du monde entier.
Américains, Japonais, Australiens venaient là un après-midi avant de d’en repartir, heureux d’avoir testé ce spot mythique. Des vidéos-défis ont été réalisées, des marques de vêtements ont été créées, des parcours dédiés à cette activité se sont développés. Parce que oui, bien sûr, les institutions ont voulu jouer sur ce succès populaire et le transformer en attrait touristique. Je ne suis pas contre, des passionnés comme moi du skateboard en avons profité sur le plan pécuniaire, mais quand j’en discute avec ma fille, je me rends compte que ce spot a perdu de sa magie originelle, le côté fun et smart que j’évoquais. Je ne sais pas vraiment comment on pourrait remédier à cela. C’est toute la question de savoir quel équilibre trouver entre valorisation et préservation...
Le tourisme de masse interroge depuis longtemps en effet. Le problème est épineux : dès que quelque chose plaît ou fonctionne, la machine s’emballe et on ne sait plus ensuite comment atténuer son attractivité pour que chacun s’y retrouve : touristes, mais aussi locaux et institutions... La Fête des Lumières de Lyon en est un bon exemple. Quand j’ai commencé à travailler sur le site, cette manifestation attirait tellement de monde que les habitants ne trouvaient même plus de plaisir à profiter de la mise en lumière de leur ville. Les déambulations prenaient parfois l'allure de véritables parcours du combattant. Sans compter les désagréments écologiques qui commençaient à en découler : davantage de vols de l’étranger, des projections énergivores, un surtourisme étouffant.
Nous devions modifier notre façon de faire pour redonner un souffle à ce genre de festivités. J’ai eu l’idée de créer la lumineuse ponctuation. Il me paraissait plus viable, plus écologique, plus agréable pour chacun d’animer des espaces uniquement par le biais de sources lumineuses ponctuelles, et non énergivores, comme des bougies, des leds et luminions. Lorsque la mairie de Lyon a voté en 2030 une réduction drastique de l’éclairage nocturne et de la pollution lumineuse, le concept s’est très vite popularisé. Il offrait au promeneur des flâneries plus intimistes et des créations, certes moins spectaculaires, mais plus subtiles. La ville est devenue un théâtre lumineux ouvert à tous grâce aux œuvres de nombreux artistes et habitants. Tout au long du mois de décembre dorénavant, les « pavés » lyonnais s’illuminent et font ressortir le retour des étoiles dans le ciel de l’agglomération.
Je suis anthropo-géomorphologue : un spécialiste du relief et de l’histoire des paysages. La grotte Chauvet est depuis longtemps pour moi un terrain d’études privilégié. La qualité des œuvres pariétales réalisées là il y a plus de 36 000 ans, leur dialogue dans le paysage souterrain, leur répartition dans la géographie, leur association avec de très anciens aménagements de la grotte réinterrogent nos connaissances sur nos ancêtres Homo sapiens, notamment leur relation au milieu souterrain et à leur environnement extérieur. Les médiations qui sont proposées ici auprès des publics s'appuient sur la vraisemblance que la copie de la grotte Chauvet entretient avec l'originale.
En effet, ce fac-similé a été pensé pour préserver et valoriser : il s’agit d’apporter des clés de lecture, des éléments de datation quant aux principales évolutions du lieu. Pour la Grotte Chauvet : sa visibilité, l’état de ses parois, la nature de ses sols, la présence d’eau, afin de restituer ce qu’elle était vraiment lorsque les hommes préhistoriques l’ont parcourue et fréquentée. Nous utilisons pour nos travaux un scanner 3D à haute résolution. La méthode utilisée est depuis régulièrement reproduite pour d’autres sites qui souffriraient de la fréquentation touristique et qui méritent cependant amplement d’être visités. La technique de l’anamorphose, un procédé mathématique dont je vous ferai grâce de l’explication, permet de créer des modèles réduits précis et respectueux de l’espace initial. C’est un travail délicat et long, mais dont le résultat est plus vrai que nature...
La préservation des espaces naturels est un devoir que nous avons en tant que citoyens et dont nos politiques ont parfaitement pris conscience à présent. J’ai été l’une des premières à faire reconnaître des droits à ces espaces qui constituent le patrimoine naturel de nos sociétés. Je rappelle que celui-ci inclut les spécificités naturelles remarquables, les formations géologiques ou de géographie physique, les zones spatialisées qui constituent l’habitat d’espèces animales et végétales menacées, ainsi que certains sites naturels qui présentent un intérêt sur le plan scientifique, dans le cadre de la conservation ou en termes de beauté naturelle. Forêts, rivières, écosystèmes marins, sanctuaires ou réserves sont de plus en plus nombreux à bénéficier d’un label, qui leur assure d’être protégés par la loi. Cette labellisation est un véritable vecteur d’innovation car elle génère la circulation d’expériences et de bonnes pratiques.
Vous avez usé du terme de « citoyen ». Vous avez raison, nous pouvons tous œuvrer, chacun à notre échelle, à valoriser le patrimoine de notre pays. Certains au niveau national, et d’autres au niveau local. En tant qu’habitante d’une ville au riche passé industriel, j’ai ressenti il y a peu le désir de m’identifier à ce passé. Le concept d’identité territoriale me parle, c’est une manière de se construire une identité non seulement personnelle, mais aussi sociale à partir du territoire où l’on est né, où l’on a grandi. Je suis fille d’ouvrier. Mon père a travaillé toute sa vie à la Manufacture d’armes, jusqu’à sa fermeture définitive en 2001. Cette manufacture est un symbole du développement économique de ma ville, un symbole ancestral puisqu’au Moyen Âge, ses ateliers d’armuriers fournissaient déjà officiellement les troupes armées.
Une partie du palais de briques rouges et pierres blanches qui fut édifié en 1864 et qui représentait la puissance du Second Empire, fut détruite pour réaliser la Cité du design. Des logements résidentiels, un Centre de recherche et d’enseignement, l’École supérieure d’art et design se sont également installés sur place. Mais il subsiste à ce jour des éléments historiques : le bâtiment dit de l’Horloge, le jardin, les balustres, la grande usine appelée « Double H », ou encore les ateliers d’ajustage pour ne citer qu’eux, inscrits au titre des Monuments historiques et qui ont besoin de nous, Stéphanois, pour continuer à exister dans l'héritage collectif. J’ai envie de m’investir dans cette mission parce que quelque part, ce patrimoine fait partie de mes gênes et donne sens à mon enracinement dans cette ville.