2050…
La montagne a vu son réchauffement s’accélérer ces dernières années, plus vite que dans le reste de la France. Ses glaciers ne sont quasiment plus. Hormis dans les stations de haute altitude, la neige se fait la grande absente de ces territoires enclavés au-dessus de leurs vallées.
Le tourisme en montagne n’a pas eu le choix ; au fil de ces dernières décennies, il a dû se renouveler, innover. S’engager dans une transition écologique dont les enjeux ont impacté ses sphères économiques et sociales. Après le tout thermal et le tout ski, une ère plus responsable, une offre plus diversifiée, dynamise dorénavant les massifs de l’Auvergne-Rhône-Alpes.
Tant de bonnes idées ont vu le jour… Elles s’offrent aujourd’hui à nous. Suivons pas à pas les voix qui nous en parlent.
Je me forme au métier de menuisier, en alternance.
L’artisan auprès duquel je suis en apprentissage a signé un chantier avec Villard-de-Lans.
Ils sont en train de construire un centre qui devrait faire parler de lui. J’ai la chance d’aider à l’édification de sa charpente. Ils ont voulu un bâti en pierres et bois. Quelque chose de solide, qui se fonde dans le décor, élégant, sobre, mais extrêmement moderne une fois les portes franchies. Ce n’est pas la première station à bâtir un tel endroit, avec des sports d’intérieur : piscine, bowling, curling, spa, mais le leur se distinguera par une section totalement dévolue aux activités de bien-être et de développement personnel. D’après ce que mon patron m’a dit, ils accueilleront également des ateliers nutrition.
Je suis plutôt fière de participer à un tel projet. J’espère qu’à terme, l’ensemble donnera un cachet particulier au domaine…
Je m’appelle Adélaïde. Je suis peintre.
Depuis mon installation à Super Besse, je vis de ma peinture. Jamais je n’aurais cru pouvoir le faire, c’est dur vous savez de vivre de sa passion, mais voilà, je tire profit si je puis dire de l’engouement des touristes pour un art authentique.
Quand je suis arrivée, je me suis installée dans une chapelle en ruines. Je l’ai achetée une misère. Après un an à la restaurer, j’ai mis en place des cours de peinture et expose là mes toiles. Les gens adorent ! Je leur offre un thé, un café. Ils ont les pieds chez moi, et la tête dans un musée.
L’agence d’architecture avec laquelle je collabore est installée à Albertville. Avant, je travaillais à Paris et puis un jour, tandis que j’étais en vacances aux Arcs, j’ai été témoin d’un éboulement : toute une masse de roche qui s’est effondrée sur la route, à quelques mètres devant ma voiture. Je dois dire que c’était impressionnant.
Après cela, je me suis renseignée et j’ai découvert que les bouleversements climatiques que nous vivions depuis quelques décennies se ressentaient d’autant plus dans les territoires de montagne. Les contraintes structurelles sont grandes et tout nouveau bâti doit en tenir compte.
Mon agence s’est spécialisée dans les constructions légères et modulables, notamment les Tiny Houses, ces micro-maisons sur roues que les mairies déploient en fonction de l’afflux touristique, mais également faciles à déplacer en cas de crue annoncée.
Le train roule, et autour de moi, le silence. Je sais que je devrais dormir, soixante-six kilomètres de course m’attendent demain à Courchevel, mais je ne peux pas.
Le train roule, et autour de moi les ténèbres - à l’exception de la veilleuse au-dessus de ma tête. Rouler… Est-ce vraiment le terme ? Ne devrais-je pas dire flotter ? Me voilà l’un des premiers voyageurs de cette nouvelle ligne de nuit. Depuis le temps qu’ils en parlaient ! Le train est à sustentation magnétique. Gagne temps, gain de confort… Une fois arrivé en gare, je n’aurai plus qu’à emprunter l’ascenseur valléen : y a pas à dire, le funiculaire, c’est quand même plus sympa que nos antiques navettes…
Allez, dors, mon vieux, tu vas bientôt respirer un air sans gaz carbonique. Il n’y aura plus alors que toi, les autres trailers et votre communion avec ces dénivelés qui n’ont pas fini de vous en faire baver.
Aujourd’hui, la caillasse l’emporte largement sur la glace.
Ils étaient des géants que le réchauffement climatique a plongés en soins palliatifs. La plupart de nos glaciers français ont disparu. Pour ceux dont il subsiste des vestiges, il devenait impératif de les préserver de toute dérive touristique. Laurent L., guide sur le glacier de l’Argentière pendant quinze ans, compte parmi les hommes et les femmes qui ont œuvré pour une mesure plus radicale qu’un tourisme de la dernière chance : une patrimonialisation du site.
Quand j’étais môme et qu’on montait au refuge avec mon père, j’étais fasciné par cette langue de neige vitrifiée. Une fois adulte, j’ai partagé cette fascination avec d’autres férus des hauts sommets. Quand le recul de l’Argentière s’est accéléré, je suis devenu l’un des acteurs du tourisme « de la dernière chance ». Des gens venaient de loin, de très loin pour observer le glacier avant qu’il ne disparaisse. On les sensibilisait sur son avenir, on organisait des randonnées sur son pourtour.
Mais c’était encore trop pour lui. Alors j’ai créé un comité et, laborieusement, on a constitué un dossier. Ҫa a pris du temps, mais on a réussi. À présent, le glacier de l’Argentière est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO ; les randonneurs et alpinistes sont priés d’éviter ses abords.
En revanche, un hall d’exposition a été aménagé dans le village pour inviter les touristes à une exploration virtuelle du glacier. Et je peux vous assurer qu’elle est presque plus réelle que nature…
C’est fou ! Avec mes gamins, on n’en revient pas. Pour les 18 ans de mon grand, on a testé le Meta-Aura-Vers.
Puce Neuralink pour accéder à ses projections, Meta’Pass à l’entrée du serveur. Et là… Vous imaginez même pas ! On a nagé dans un volcan de lave en fusion, skié hors-piste – sur des skis en bois comme le faisaient nos ancêtres il y a 150 ans. On a rejoint un groupe de résistants dans le maquis, assisté au festival des montgolfières au-dessus de la Belledonne.
Mon avatar ne s’est pas encore remis de ce séjour totalement immersif. Tout était fait pour nous plonger dans un voyage hors du temps en toute sécurité. Le moindre problème ? On signalait un bug et les forces de l’ordre se pointaient – enfin, leurs avatars.
Moi qui n’aime pas trop utiliser le metavers au quotidien : l’Antitech, on m’appelle dans la famille ; pour des vacances, ça vaut le coup.
Dois-je me présenter ou simplement vous parler de mon expérience ? Un peu des deux ? Allons-y alors.
J’ai 32 ans, je m’appelle Apolline K., je tiens une boutique de produits bio à Clermont-Ferrand et suis une adepte de la frugalité. Ne me dites pas que cela ne vous dit rien, je ne vous croirai pas ! À notre époque… Bref, deux, trois fois par an, je me fais une marche de plusieurs jours.
Je croise pas mal de monde sur les chemins. Les randonneurs ont compris depuis longtemps la nécessité de ne pas laisser traîner des déchets derrière eux. La montagne est fragile et vu comme elle est fréquentée à la belle saison, on est vite nuisible pour elle. Les acteurs locaux ne sont pas les seuls à devoir faire des efforts pour la protéger. C’est notre rôle à nous aussi de comprendre qu’un environnement naturel demande d’être respecté.
Ce concept de frugalité a émergé il y a plusieurs années déjà, mais il est devenu une véritable philosophie pour les fondus de randonnée comme moi. On minimise le confort, la nourriture. On laisse de côté les gadgets dont notre société est si friande. Ҫa fait du bien ce dénuement, il nous rapproche de l’essentiel.
Mes parents tenaient une ferme d’élevage, j’ai pris leur suite.
Je produis de la Tome AOC. Je ne me verrais pas vivre ailleurs qu’au milieu de mes vaches. Mais voilà, il y a quelques années la question de la gestion de l’eau a été posée dans les Bauges. En fait, à ce moment-là, j’étais employé l’hiver à la surveillance des canons à neige. Les retenues collinaires, je n’avais rien contre puisqu’elles permettaient de former des réserves pour la neige de culture. Et on avait besoin de celle-ci pour attirer les skieurs !
Mais je me suis rendu compte, peu à peu, qu’on faisait erreur. Ces retenues transformaient le paysage et l’éco-système et surtout, la neige artificielle imperméabilisait les sols, facilitait le ravinement et l’érosion. Je suis agriculteur dans l’âme, je ne voulais pas voir ma montagne dégradée par nos activités. J’ai rejoint une association de défense de l’environnement.
J’ai compris combien l’eau était un enjeu essentiel dans nos massifs. Je suis devenu l’un de ses porte-paroles. J’ai appris à protéger les zones humides, à vérifier nos ressources en eau potable, à dire non à un nouveau barrage hydroélectrique. L’eau alimente l’ensemble des réserves hydriques dont nos vallées disposent ; par ruissellement ou infiltration dans les nappes. Elle mérite amplement d’avoir des droits, comme un citoyen.
Mais certains voient d’un mauvais œil notre volonté de donner une voix au vivant qui nous entoure. Ne nous le cachons pas, la rentabilité économique de nos stations a encore de beaux jours devant elle - même si les consciences ont beaucoup évolué ces dernières années.
C’est une lutte de tous les jours, mais quand je mène mes vaches en alpage, que je goûte à la limpidité d’un torrent, je me dis que cette lutte en vaut largement la peine.
Je travaille dans ce parc animalier depuis son ouverture il y a cinq ans. 25 hectares d’espace naturel préservé au cœur d’une des dernières forêts françaises ayant survécu aux méga-incendies de 2040.
Le temps d’une journée, les visiteurs découvrent les espèces endémiques qu’il est devenu extrêmement rare de voir dans nos Alpes aujourd’hui : la marmotte, le bouquetin, le mouflon, le loup, ou l’ours. Sans compter les trois derniers chamois d’Europe : Orchidée, Myrtille et Edelweiss. Des espèces disparues, ainsi que leur habitat naturel, sont également reconstitués en Réalité Augmentée.
Notre parc a reçu le label Flocon Vert pour ses éco-conception et éco-activité. Même notre restaurant propose des menus 100% végétaux, respectueux d’un mode de consommation doux et local.
À savoir aussi que nous possédons le seul laboratoire alpin de génétique animale et que nous sommes en partenariat avec le réseau Zootech, de l’Institut International de la Préservation Animale et Végétale. Un partenariat qui nous permet de "collectionner" et d’échanger sous forme d’hologrammes les diverses espèces animales endémiques des régions du monde.
Nous proposons à nos clients une cure thermique dans un complexe troglodyte luxueux établi sur trois étages, à 2 300 mètres d’altitude.
Les activités sont diverses : bien-être, expériences sensorielles et gastronomiques… Notre Grotte abrite aussi un restaurant et des salles de conférence. La température moyenne : 24°C pour le premier niveau, 19 pour le deuxième et 13°C pour le troisième - quelle que soit la saison ! Notre complexe compte se doter l’année prochaine d’une salle pour accueillir les sportifs.
Afin de préserver l’esprit zen de cet espace à part, l’utilisation des technologies est interdite au cœur de la Grotte.
Mon travail à la mairie des Estables est essentiel.
Notre commune s’est longtemps vidée de ses habitants au moment où la neige, et les touristes également, ont définitivement déserté nos plateaux. Lorsque notre station est devenue la « capitale » des chiens de traineaux sur roues et que notre traditionnelle Nanaloppet a évolué en course de ski de fond sur roulettes, Les Estables ont retrouvé un certain élan.
Mais les maisons avaient tendance à se transformer en résidences secondaires, alors nous avons agi et racheté une partie du bâti, avant de le revendre – à un prix au m2 moins cher que le marché. Le télétravail nous a permis d’attirer une nouvelle population de locaux : des urbains qui avaient envie d’habiter dans un environnement calme, sans démissionner néanmoins de leur emploi. Nous avons également soutenu financièrement les gens du coin qui souhaitaient réaménager leur bien en hébergement agri ou écotouristique.
Nombre de citadins sont en mal de refuge et d’isolement. Les uns et les autres peuvent trouver à s’entendre. C’est ce à quoi nous nous évertuons à la mairie.