2050... Les exigences environnementales ont su faire évoluer l’économie touristique. Le vouloir « voyager mieux » s’impose, petit à petit. Mais l’écosophie appliquée au tourisme n’en est encore qu’à ses balbutiements, beaucoup reste à faire et à imaginer pour désindustrialiser le tourisme mondial, l’orienter vers des modèles plus responsables et respectueux du monde dans lequel nous vivons. Portraits de certains de ces acteurs qui ont choisi de donner un nouvel élan au secteur touristique...
Parlons clair : qui va concrétiser le phénomène ? Nos enfants et petits-enfants. Je préfère user du terme de phénomène plutôt que de théorie... En effet, l’écosophie a d'abord été un effet de mode avant de s’implanter sérieusement dans l’esprit des populations. L’idée, pourtant simple, qu'individus et sociétés ne peuvent s'épanouir sans un environnement sain a mis du temps à s'imposer.
Appliquée au domaine touristique, il ne s’agit pas de faire de l’anti-tourisme, mais bien plutôt de l’éco-tourisme. Eviter de participer par le voyage à la dégradation générale de notre planète. La situation est allée dans le bon sens depuis une vingtaine d’années, avec des initiatives privées et civiles qui privilégient l’éthique au lucratif. Malheureusement, les circuits en groupes, les charters bondés de voyageurs restent encore trop souvent d’actualité...
Vous, moi, nous tous, pouvons, à notre niveau, faire bouger les choses. Personnellement, je donne des cours à l’université, j'enseigne les principes de l’écosophie à des jeunes. Je gage sur les générations présentes et futures pour finir de transmuer l’idée même de voyage, transformer leur imaginaire, leur vision du monde et engager des actions concrètes dans la lutte contre le changement climatique.
Mon agence d’urbanisme s’est fait connaître ces dix dernières années pour ses projets de
structures habitables durables, inspirées du biomimétisme. L’année dernière, nous avons conçu
des refuges pour une commune en Auvergne, sur le modèle de la coquille d’escargot.
Particularité : ils tournent sur leur axe pour suivre le cours du soleil. Chacun de leurs détails a
été pensé pour homogénéiser l’ensemble : façade de pierre basaltique, toiture végétale, pergola
photovoltaïque... Les randonneurs qui logent sur place peuvent visiter l'observatoire de la
biodiversité aménagé sur le site.
Jardins potagers et vergers organiques complèteront bientôt l’endroit. Ils fourniront le restaurant
central. Ce dont nous sommes le plus fiers, c’est que la majeure partie de ces espaces pourra
être exploitée par les habitants de la commune pour leur propre consommation.
Les projets proposés par mon agence sont de plus en plus prisés par les locaux. Évidemment : on
s’évertue à bâtir des architectures cohérentes, qui soulignent le caractère responsable de leur
village ou de leur station. Sans compter qu’ils ont ainsi l’opportunité de préserver un mode de
vie en accord avec la nature dans laquelle ils ont choisi de s’installer...
L’association de découverte de proximité a fêté ses vingt ans la semaine dernière. La quasi-totalité des artisans et des commerçants de notre commune en font maintenant partie ! Le credo d’Atout Proche ? Resserrer les liens entre les acteurs économiques du coin et les habitants en permettant aux uns et aux autres de se découvrir : c'est gagnant-gagnant.
Moi, quand j’étais jeune, j’étais une vraie “backpackeuse“, j’ai bourlingué partout dans le monde avec mon sac sur le dos. Puis, je me suis pris de plein fouet l’évolution des tendances, l’angoisse du désastre écologique en cours. Quand je me suis mise en couple et que mes enfants sont nés, j’ai peu à peu changé ma façon de voyager. Pourquoi cherchons-nous à partir loin alors qu'il y a tant à découvrir en bas de chez nous ? Quand mes fils ont quitté la maison, j’ai discuté avec les commerçants de mon quartier, curieuse de voir comment ils travaillaient. C’est ainsi que l’idée d’Atout Proche est née. Elle a été longue à mettre en place, pas tant pour réunir les acteurs de l’association que pour faire comprendre aux habitants qu’ils pouvaient aussi participer à l’activité locale par le biais des médiations, des visites-métier et des ateliers que nous leur proposons. Sans pollution liée aux déplacements. Et ce qui est encore plus formidable, c’est d’avoir vu des jeunes trouver leur vocation suite à ces échanges et visites.
Il y a quelques années, dans notre commune, une pétition avait été signée par une forte majorité de mes concitoyens pour s’élever contre la construction d’un lotissement en lieu et place des anciens hangars techniques de remontées mécaniques. Madame le Maire avait à l’époque soutenu cette initiative citoyenne à l’encontre du promoteur du projet... et celui-ci avait finalement dû le retirer. Cet épisode nous a fait prendre conscience qu’il était largement temps de consulter davantage les habitants de notre commune avant de se lancer dans un aménagement, quel qu’il soit.
Aujourd’hui, ma mission en tant qu’adjointe à l’urbanisme sort quelque peu du cadre de mes prérogatives initiales. En effet, Madame le Maire m’a demandé de proposer et de tester de nouvelles modalités de prises de décision au sein de notre commune, pour que les questions d’urbanisme, et notamment la réhabilitation des friches associées à l’ancienne activité ski, soient pensées par l’ensemble de nos concitoyens, en accord avec les défis environnementaux à relever collectivement... C’est probablement le chantier le plus titanesque sur lequel j’aurais été amenée à travailler !
J’ai 26 ans. Je fais partie de cette génération qui s'est bougée pour insuffler à notre société une éthique environnementale. Ma mère bossait pour une compagnie aérienne ; chaque année, on partait à l’autre bout du monde avec mes parents. À l’adolescence, je les ai laissés partir sans moi. Ils n’ont pas compris ma décision. Mais je savais que je ne voulais plus “bouffer“ des milliers de kilomètres pour mon seul plaisir. Notre planète n’avait vraiment pas besoin de ça...
Fondu de réalité augmentée, j’ai su très vite quelle direction donner à ma vie. J’ai créé ma boîte en free-lance. Les gens étaient sceptiques au début, et puis peu à peu, le bouche à oreille a fonctionné... Je conçois des programmes immersifs qui vous transportent aux confins des pays les plus exotiques qui soient, des contrées les plus dépaysantes dont vous pourriez rêver. Sans bouger de votre canapé ! Grâce au numérique, vous vivez des expériences spectaculaires sans même bouger de votre salon. Le ressenti est tout ce qu’il y a de plus réaliste. Il faut dire que pour concevoir mes produits, je mène un vrai travail de fourmi pour collecter tous les souvenirs, photos et récits de voyage que des générations de touristes ont accumulés dans le passé. Je ne sais pas si on peut encore appeler ça du tourisme, mais je suis fier du concept que j'ai créé : le « voyage immobile » ...
Je fais le plus beau métier du monde. Un vieux métier, qui garde encore aujourd’hui ses lettres de noblesse : je suis tailleur de pierre. Outre mon investissement dans la restauration et la valorisation du patrimoine bâti, sur les chantiers des Bâtiments de France, je dédie pas mal de mon temps à l'association Atout Proche. J’ai à cœur depuis six ans maintenant de recevoir des visiteurs sur mon lieu de travail, de transmettre mon métier, de susciter des vocations.
Cela m’a paru naturel d’agir de la sorte. Engagé de longue date dans la lutte contre le réchauffement climatique, je suis de ceux qui prônent la fin du tourisme de masse et la diminution des déplacements longue distance. Après, ne nous leurrons pas, on peut tendre vers un tel objectif, mais on ne le supprimera pas totalement. Je m’autorise d’ailleurs moi-même un voyage tous les deux ans - toujours à but professionnel cependant, puisqu’à cette occasion, je « me forme » à d’autres techniques constructives. J’organise à distance ses modalités auprès de mes pairs, des constructeurs du monde entier. La relation accueillants/accueilli est très spécifique : je loge chez l’artisan et participe pendant deux mois environ à l’activité de l’artisan qui m’héberge. Cette ouverture culturelle, cet enrichissement de ma propre pratique professionnelle, je les partage ensuite avec mes clients, et le grand public, à travers les visites-métier et les ateliers de l’association. Quant au bilan carbone auquel j’ai participé, je le compense par une sobriété accrue au quotidien.
Il y a seize ans, j’ai intégré, à Sévrier, en Haute-Savoie, l’un des trois pôles d’études et de recherches de l’Observatoire de la Biodiversité, en Auvergne-Rhône-Alpes. Mon rôle est de mesurer le retour de la biodiversité, et l’évolution positive suivie par certains sites, jugés sensibles, depuis la chute du tourisme de masse dans les années 2030. Il y a encore vingt ans, des animaux comme l’aigle royal ou l’outarde canepetière, le putois, la loutre, ou la chauve-souris étaient en voie d’extinction. Mais maintenant... Si vous faites attention en vous baladant, vous verrez qu’ils ont refait leur apparition. Ce n’est pas beau, ça ? Et le niveau de pollution de nos rivières a baissé.
Malheureusement, pour nos glaciers, c'était trop tard. Certains dommages infligés aux écosystèmes par l’activité humaine et le dérèglement climatique qui en découle se sont avérés irrémédiables. Idem pour les sommets de granit éboulés suite à la fonte du permafrost. Quant à notre flore alpine... Ҫa me désole toujours autant de voir que l’emblématique génépi a disparu et qu’il ne reviendra plus. Je vous parle du génépi, mais cette disparition est valable pour 20% de la flore, remplacée par des espèces plus invasives, plus aptes à s’étendre en altitude. Et le grand tétras, vous savez, le plus gros oiseau forestier du pays, et bien, il aurait pu lui aussi être à jamais effacé de nos forêts si nous ne l’avions pas réintroduit par le biais de couples issus des Vosges. Ma mission d’études, d’analyses et de surveillances reste donc aujourd’hui primordiale pour que notre montagne continue de se réoxygéner.